Pardonnez-Moi, approche détaillée du film



« Pardonnez-moi » est un film écorché, profondément personnel qui se joue des frontières entre documentaire et fiction. Maïwenn se met elle-même en scène pour parler de sa famille, mais son discours nous touche bien au-delà de son histoire : c’est le récit d’un passage à l’acte, de l’accouchement d’une œuvre dans la douleur, traversée de fulgurances d’une violente sincérité. « Pardonnez-moi » est le premier film d’une jeune réalisatrice à fleur de peau, qui nous prouve que faire du cinéma est aussi et surtout affaire de courage.

L’affiche de « Pardonnez-moi » est frontale (celle de « Polisse », son troisième film, sera du même style) ; l’adresse, directe. Pour son premier film Maïwenn annonce la couleur. Le discours sera brut ; l’esthétique, chaotique, bousculée. Peu de réalisateurs contemporains véhiculent une telle énergie, à vif. On pourrait citer Virginie Despentes, ou encore Isild le Besco, sa sœur.

En 2001, la comédienne Maïwenn Le Besco jouait au café de la gare un spectacle qu’elle avait elle-même mis en scène, « Le Pois chiche », dans lequel elle incarnait les membres de sa famille. Après un court-métrage (« I’m an actrice », 2004), elle écrit, (co)produit et se met en scène dans « Pardonnez-moi », long-métrage sur sa famille encore. Elle se lance d’abord seule dans la production du projet, transférant l’argent de son assurance-vie sur le compte d’une société ad hoc, créée pour l’occasion. Les Films du Kiosque la rejoignent ensuite et le film sort en salles en novembre 2006. Accueilli avec enthousiasme par la critique, le film reçoit deux nominations aux Césars 2007, Meilleur Premier film et Meilleur espoir féminin pour Maïwenn.

« Pardonnez-moi » est un film brutal sur la famille, celle de Violette (incarnée par Maïwenn elle-même), parcouru des thèmes de l’enfance, de la colère, du pardon. Maïwenn joue avec les outils du cinéma pour brouiller les pistes sur l’identité de ses personnages – surtout du sien - et décliner son histoire sur plusieurs niveaux, en multipliant les mises en abyme. Autofiction, fiction documentée, documentaire aux allures de fiction… le film se joue des catégories. « Pardonnez-moi », est le film de famille d’une jeune femme, sur une jeune femme qui veut faire un film sur sa famille.

Un film de famille, avec des personnages si caricaturaux et réalistes… à la fois



Très rapidement s’installe le thème du film de famille. Les images d’archives de l’enfance de l’héroïne, les petits films de famille tournés avec une caméra amateur. La chanson interprétée par Yves Montant, « Trois petites notes de musique », contient cependant l’annonce du retour impromptu de certains souvenirs :

Trois petites notes de musique
Ont plié boutique
Au creux du souv'nir
C'en est fini d'leur tapage
Ell's tournent la page
Et s'en vont dormir
Mais un jour sans crier gare
Ell's vous revienn'nt en mémoire

Et en effet, très vite, à la suite de ces images idylliques, porteuses d’une certaine nostalgie, survient le blocage, le problème. C’est le personnage du père (Pascal Greggory), dont Maïwenn/Violette enfant se refuse à parler. Le père fruste, crispé, rude. Le père a battu Violette enfant. C’est lui l’antihéros de son spectacle. Pour la féliciter, il ne lui offre pas le traditionnel bouquet de fleurs, non, mais un pain, comme un coup de poing dans la figure, comme il l’a toujours fait. Il n’est cependant pas présenté de façon univoque comme le monstre. C’est son père, après tout ! (s’exclame Violette devant son compagnon.) Dans le spectacle de Violette, si le père bègue et breton occupe une place centrale, il est aussi question de la mère, Lola (Marie-France Pisier). La mère, c’est une actrice, en un sens exhibitionniste, un peu comme tous les acteurs. Peut-être un peu pute aussi, comme la Lola de Jacques Demy, dont on aperçoit une affiche dans l’appartement de Violette. Après les parents, les sœurs. Billy (Hélène de Fougerolles), la sœur masculine, à qui revient souvent le rôle de conciliatrice entre pères et filles. Et Nadia, la cadette (Mélanie Thierry), celle qu’on envie, car elle a un autre père que ce salaud. « Pardonnez-moi », en bon film de famille, a ses secrets, ses révélations, ses coups de théâtre… Cet autre père, c’est Paul, qui réapparaît vingt ans plus tard. Il s’introduit dans la vie de cette famille par un mensonge, un subterfuge, en se faisant passer pour un journaliste auprès de Maïwenn. Mais très vite, l’entretien, miroir inversé de celui de Maïwenn/Violette enfant, voit les rôles redistribués. C’est Violette qui pose les questions, Paul qui passe aux aveux. C’est un drôle de père idéal, au bras duquel Violette s’imagine le jour de son mariage, dans un fantasme cocasse aux accents œdipiens, sur fond de la musique de « La Boum » ! (dont on voit aussi une affiche dans l’appartement). Il a tout de même abandonné sa fille vingt ans auparavant ; mais ce qui le rachète aux yeux de Violette, c’est sans doute que lui est venu demander pardon.

Les personnages sont certes caricaturaux, mais leur jeu n’est jamais empesé, grâce au parti pris de laisser une grande marge d’improvisation aux acteurs, qui repose sur une efficace dynamique d’action/réaction, où les répliques fusent, du tac au tac, comme au cours du repas d’anniversaire familial. La mise en scène elle aussi est heurtée (les techniciens ne savaient pas toujours à l’avance quoi filmer), et cherche à communiquer, d’après les mots de Maïwenn elle-même, l’ « imprévisibilité de la vie ». Le personnage de Violette déclare d’ailleurs son intention de mise en scène, lorsqu’elle se rend dans un magasin acheter sa caméra : « Non, pas de travellings… je veux que ça soit… comme ça ! », dit-elle en imitant le bouillonnement qu’elle a en tête.

Ce fameux repas de famille, où les vérités de chacun éclatent, pourrait devenir indigeste. Mais l’humour vient chaque fois à point nommé pour désamorcer la tension croissante. Le rot de Violette, l’anecdote des prénoms, l’entartage collectif sont des respirations nécessaires pour rendre supportable aux personnages comme au public la violence de cette histoire à la première personne.


La colère et le conflit comme moteurs du récit, la recherche du pardon comme apaisement

Ce n’est pas par hasard si les personnages crient, si l’héroïne bouscule. C’est son mode de fonctionnement, assumé : « Je suis comme ça », dit Violette à son compagnon. Ce comportement radical de Violette, et au-delà de Maïwenn elle-même, a quelque chose d’autodestructeur. Elle se met volontiers en danger, et provoque son entourage pour faire jaillir les non-dits. Si Violette a décidé de s’acheter une caméra, ce n’est pas pour filmer de paisibles moments familiaux. Cela transparaît clairement lorsqu’elle s’adresse pour la première fois à son compagnon avec la caméra, non pour qu’il s’attarde sur leur première rencontre (sujet qu’elle aborde d’abord, pour l’évacuer aussitôt), mais pour qu’il explique pourquoi il l’a faite avorter il y a un an.

Ce qu’elle recherche, c’est le pardon. C’est-à-dire qu’elle veut que son père lui demande pardon, pour les violences (physiques, et psychologiques) qu’il a commises envers elle. Il y a quelque chose de vain dans cette quête. Elle a beau le confronter à sa version des faits –par un violent spectacle de poupées, en n’hésitant pas à souiller ce jouet d’enfant de liquide rouge sang-, la situation semble sans issue. Le titre même du film, « Pardonnez-moi », est peut-être ce que Violette voudrait entendre, peut-être aussi une manière pour elle de s’excuser à l’avance pour son entreprise, pour avoir osé exhumer le passer et exposer les tabous familiaux aux yeux de tous.

« Pardonnez-moi », autofiction ? l’enjeu de l’autobiographie

La ressemblance entre Violette et Maïwenn est troublante, et l’ambiguïté entre ces deux personnages (ne font-ils qu’un ?) permanente. On ne peut s’empêcher pendant tout le film de se demander si ce qui nous est montré est réel, autobiographique ou non, s’il s’agit de documentaire ou de fiction.

On est tenté de croire au documentaire, parce qu’on est d’une certaine manière dupe des déclarations du personnage principal, Violette, interprété par la réalisatrice elle-même, qui dit vouloir « faire un documentaire sur sa famille », et prétend filmer absolument tout (même quand elle va aux toilettes !). Aussi parce que les essais de Maïwenn (à moins qu’il ne s’agisse de Violette ?) enfant parsèment le film sans plus d’autre explication –de manière extra-diégétique, sans être justifiés par le déroulement logique du récit. Le style heurté de la mise en scène, et la spontanéité du jeu d’acteurs, évoqués plus haut, cherchent à donner l’illusion du réel et de la vie. Enfin, par ce qu’on a pu entendre des déclarations de Maïwenn-réalisatrice, étonnamment proches de celles de son personnage : elle a été maltraitée enfant, et veut surmonter ce traumatisme en faisant un film.

Et pourtant, il s’agit bien d’une fiction, avec des acteurs, qui interprètent des personnages, avec Maïwenn pour chef d’orchestre. En interview Maïwenn a déclaré que ce film est peut-être un fantasme : celui de faire un documentaire sur sa famille. Comme elle n’a pas réussi à le faire, elle fait ce film de fiction sur cette fille qui fait un documentaire sur sa famille… Violette est en quelque sorte un moi idéalisé, qui agirait comme Maïwenn aurait souhaité le faire en réalité.

D’aucuns disent que toute autobiographie est forcément une autofiction (terme utilisé en 1977 par Serge Doubrovsky en littérature). Ici Maïwenn fait des emprunts assumés à son propre vécu pour donner vie à un personnage annoncé comme fictif. Elle ira plus loin dans l’ambiguïté dans son film suivant, « Le Bal des actrices » (2007), où son personnage s’appelle également Maïwenn ! Toutefois elle ne perd pas de vue l’enjeu de tout film, d’autant plus s’il est largement autobiographique : intéresser le public –« La seule question que se pose l’autobiographie dans le cinéma c’est : peut-on faire du cinéma qui intéresse tout le monde avec des histoires qui ne regardent que soi et ses proches ? » « Je répondrais spontanément que les histoires personnelles sont les histoires de tout le monde, donc oui » (dixit Violette).



Les mises en abymes : Maïwenn et Violette, actrices et metteurs en scène

Le film multiplie les niveaux de récits et les mises en abyme. Maïwenn et son double fictionnel, Violette, sont toutes deux à la fois actrices et metteur en scène. Au théâtre, d’abord, où Violette est, tout comme Maïwenn l’a été, elle-même actrice et metteur en scène de son spectacle. Violette met ensuite en scène son double (Violette enfant) dans un spectacle de poupées, devant son père muet et crispé. Une scène qu’elle n’a pas mis dans son spectacle, car trop violente… mais que Maïwenn met dans son film ! Violette aussi se fait des films : ses fantasmes, où s’expriment ses désirs profonds, et notamment la recherche du père idéal. Enfin, et surtout, il y a le film (tourné par Violette) dans le film (tourné par Maïwenn). Les images qui proviennent de la caméra de Violette, en noir et blanc, sont intégrées au film de Maïwenn. A ces images s’ajoutent celles issues d’une caméra invisible, qui capte les images de Violette en train de filmer, de la monteuse en train de monter…

En somme Lola a raison de dire que Violette, sa fille, est une manipulatrice. Elle met la réalité (sa réalité) en scène. Par exemple, lorsqu’elle manigance le coup de théâtre de l’arrivée de Paul au moment du repas familial.

Tout ce dispositif sert de moyen à Violette pour faire naître la vérité, et également de bouclier face à ses interlocuteurs –avec sa caméra, elle se sent plus forte. Maïwenn dira d’ailleurs que d’avoir accouché de ce film, en quelque sorte, l’aura rendue plus forte.

Violette, Maïwenn, pourquoi ce film ? (le film comme dépassement)

…pourrait-on demander en écho à la question reprise par la mère. 

Violette dit chercher la vérité, notion fortement mise en question par son compagnon, qui souligne la nécessaire subjectivité du point de vue. Il remet également en question les déclarations de Violette sur son passé ; elle se fracasse par la suite une bouteille sur la tête « pour se rappeler » et écarter les accusations de mythomanie. Violette dit également vouloir faire ce film pour son enfant (au générique de fin, le film est d’ailleurs dédicacé aux enfants de Maïwenn : « pour Shanna, pour Diego »), et aussi et surtout, pour elle-même, parce que le poids de son passé l’empêche de vivre. C’est en réglant ses comptes avec sa famille qu’elle pourra véritablement en créer une.

A la fin, la fille de Violette a un an, le film doit se terminer, bien que tout ne soit pas résolu. Comme le dit sa psy, son père ne lui demandera jamais pardon. On assiste en quelque sorte à l’échec du projet de recherche du pardon paternel par le moyen de la violence et de la provocation. Il s’agit en revanche d’une réussite artistique, et plus largement personnelle, car le personnage, et au-delà la réalisatrice, prennent conscience du moteur de leur inspiration : ce passé si douloureux, ce père qui a frappé, leur a donné l’ « énergie de l’artiste qui métabolise la souffrance », selon l’expression de la psy.

En interview, Maïwenn dira que pour elle la résilience, c’est la capacité des victimes à se servir de leurs cicatrices pour en faire une force. Cela rejoint l’idée du film comme thérapie qui, s’il est loin de tout résoudre, libère malgré tout une énergie communicative.

Aujourd’hui applaudis par les uns, décriés par les autres, les films de Maïwenn, si largement associés à la personnalité de la réalisatrice, échappent quoi qu’on en dise au formatage d’un certain cinéma français. Prix du jury cette année à Cannes, « Polisse » lui non plus ne laisse pas indifférent et vient encore renforcer le clivage entre admirateurs et détracteurs. Jusqu’à présent Maïwenn est restée fidèle à certains de ses thèmes (l’enfance, le jeu entre documentaire et fiction, les mises en abyme), tout en sachant les renouveler. Ses futurs projets sont encore inconnus à ce jour, mais continueront, nous l’espérons, à surprendre et nous bousculer… 

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